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Une géographie en esprit
Jean-Claude Leroy
Patrice Thierry
“Il faudra se draper dans
les silences des limons”Robert Liris, Amphora.
D’une revue des fuites à la collection Éclatement des genres l'Éther Vague, résolument, circonscrit un nouveau champ manifeste, gravide. De la traduction d'un classique italien au premier roman d'un jeune auteur, outre la réalisation d'un livre inclassable, l'éditeur inspiré se plaît à ouvrir des mondes étranges les uns aux autres. Et tous, en temps et en heure, se répondent au fil d'un catalogue vibratoire. Et tous - et chacun - instillent lentement leur poison ou médecine dans l'occurrence du jour, simplement confiants dans la valeur du territoire investi comme dans la promesse qu'ils sauront tenir.
Des auteurs de ce temps savent ainsi qu'ils doivent à l'éditeur Patrice Thierry plus que le débord d'une création, d'un soi intime. Ils ont été conviés à une sorte d'opéra - s'en étaient-ils doutés ? Opéra comble de jaillissantes sources, correspondant au vaste champ des passions de Patrice Thierry. Lui est assis à côté, il montre telle image symboliste, leste gravure, ou autographe d'un poète du grand jeu, il lit de sa voix sonore et grave tel passage d'un singulier texte qu'il songe à publier, et il suggère, écoute et réagit, facilement et généreusement heureux de voir les liens que lui seul peut connaître. Alors il engage chacun dans l'aventure...
Toutes les formes de créations sont à l'honneur en Patrice Thierry. Mais un jour une étoile tombe à la mer / voie sanglante tête de fumée cœur d'étincelle (1) Nul ne comprend la vertu de l’accident métaphorique. Le parfait présent agite ses brindilles cassantes d’être sèches, avec, pour mémoire proche, l’image physique d’un homme traversé par l’orage. Le feu s’allume à la vitesse du vertige, douleur et brûlure ont gagné les amis figés de le voir dans la perte de la foudre vaporeuse, le front noyé de sueur (2). Il se tient comme une arme immobile échouée dans le vide (3).
“Penser contre les autres et conclure contre soi” disait Malcolm de Chazal. La savante lumière du génial poète semble éclairer l’événement. Toutes les formes de créations...
Celles dont nul n’a espoir pour quiconque, même s’il est question d’être un ange, à demeure. Le regard enclos de Patrice Thierry témoigne vers l’avenir que rien ne soutient plus. La conscience se pourrait-elle une paix dressée ?
Certaines rues de Toulouse, Bruxelles ou Paris se réveillent au cœur de la nuit d’encre. Les divins arpenteurs sont encore, à ses côtés, les oiseaux encrassés d’intemporel dont la démarche hésite parfois sur un itinéraire, non sur le but. Patrice Thierry leur enseigne justement l’importance du parcours et le masque qu’ils devront prendre, jusqu’à trouver leur mesure de l’errance.
Quand le poète est généreux, l’exaltation se convie. Le partage éclate d’une ville à l’autre, les cités sont des rêves précipités. Patrice Thierry, les mots en sang, rassemble les réseaux excavés ou immanents du mental onirique, délirant. Délire de noblesse aujourd’hui posé au chevet de marbres allongés, leçon d’ontologie amoureuse. Se poursuit depuis la Saint Donatien le Voyage en l’anarchie sublime sans que personne n’accompagne dès lors sa conscience vaguement captée par d’autres mémoires...
Des auteurs de ce temps savent quelque chose de l’absence, non démunis face à elle, mais agacés d’impuissance. Ils agréent l’indicatif présent, mais avec soudain l’horreur de se perdre le long d’une trop courte abscisse...
Un certain jour, l’ami Armand Gatti demande “L’Histoire a-t-elle réellement abandonné la réalité ?” (4) Un autre jour l’ami Marcel Moreau explique sa quête “d’un rapport fécond entre la nuit et le spirituel.” Un 7 Avril, la voix de l’ami Léo Ferré décoche un deuil plus lointain. Il ne nous reste, à chacun, “rien que le grand vent pour bercer les peurs comme des siècles" (5). La solitude n’a plus qu’à valoir autant pour tous.. Le poète Patrice Thierry - auteur baroque de l’initiation chantée - arrache les câbles de lui-même, nous confie aux rémanences les plus abstraites, les plus opérantes. Dans son inachèvement l’œuvre est pleine, à la fois ivre carène dans le sillon du cicérone et nef chargée à mort.
L’Éther et le Chaos précèdent toute autre alliance.
Le refus du mystère, l’hypocrisie qui se refuse la vision des abysses humaines.
[...]
La conception du ciel et de la terre vient de l’étreinte que la nostalgie donna à l’amour.
Il nous faut donc aller à la découverte des brisures des brèches des taillades du cerveau, de ces bruits au plus fort des religions.
Méprisant les béatitudes du bien-être, jaculatoires carnages des œuvres secrètes, aller au rendez-vous tératologique.
-Et folle monœcie retrouver l’Ange.” (6)
Jean-Claude Leroy
in Tiens n°5 (1998)._________________
1 André de Richaud, LE DROIT D’ASILE
2 Christine Imbert, L’ETHER VAGUE N°8
3 Christine Imbert, L’ETHER VAGUE N°8
4 A Gatti JOURNAL DE LA PAROLE ERRANTE
5 Jean-Pierre Tardif, LA MAR QUAND I ES PAS/ ABSENCE DE LA MER
6 Patrice Thierry, L’ETHER VAGUE N°11
Tags : patrice thierry, jean-claude leroy, l ether vague, tiens 11
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Commentaires
1CMercredi 29 Juillet 2015 à 11:25cras31.info/IMG/pdf/mars_1976__robert_diego__sylvie__bernard_.pdf
D'un voyage encore plus lointain
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merci pour ce document qui me parle, effectivement. m'écrire via le contact http://www.tiensetc.org/contact
jcl